lundi 17 août 2015

L'IMAGINAIRE

Dans un état de somnolence qui précède souvent le sommeil, précisément à cet instant où les idées les plus diverses et les plus saugrenues se heurtent aux parois de la raison, il arrive que la vigilance de l'esprit se relâche et cède finalement à l'endormissement, laissant échapper l'une de ces invraisemblances qui, immédiatement, s'immisce dans le rêve.
     C'est ainsi qu'en pareille circonstance, j'ai vécu l'autre jour, l'aventure peu commune d'assister à la conversation des doigts de ma main droite ! Conversation animée, parfois à la limite de l'altercation entre le pouce, l'index et les autres.
     Le pouce prétendait assurer le plus gros du travail et se plaignait de n'avoir en contrepartie que bien peu d'agrément. Plus souvent confronté à la lame tranchante du couteau, disait-il à l'index, je n'ai pas, moi, le privilège de la dégustation d'une sauce dont l'interdiction ajoute encore  au charme de s'y tremper. Et puis je passe une partie de mon enfance à me cantonner dans la bouche baveuse du bébé, pour son plus grand plaisir et pour mon plus grand désagrément.
     Sans doute, sans doute, rétorqua l'index, mais ma condition n'est guère plus enviable lorsqu'on me sollicite pour explorer les profondeurs des fosses nasales! Et puis, je veux bien admettre ton travail, mais il faudrait quand même reconnaître ma contribution sans laquelle ton effort resterait vain!? Il ne faut pas oublier, ajouta-t-il, que si ton rôle est essentiel dans la tâche de l'écriture par exemple, le mien ne l'est pas moins. Peux-tu croire tout faire sans mon assistance ?
     Certainement pas dit le pouce, nier cette évidence serait de la mauvaise foi, mais il ne faut pas oublier non plus l'importance de ma fonction lorsque le corps auquel j'appartiens, repu de fatigue au bord d'une route, sollicite avec élégance la bienveillance de l'automobiliste pour soulager les doigts de nos cousins, les pieds.
     Bref, dit l'index, devenu soudain plus conciliant, ensemble, lorsque nous nous donnons un coup de main, nous avons un rôle majeur, si j'ose dire...
     A ces derniers mots, le majeur, croyant qu'on l'interpelait, prit la parole. La nature, dit-il, ne m'a sans doute pas doté des capacités nécessaires à l'exercice de vos fonctions, mais reconnaissez que je suis en grande partie responsable des regards qu'on porte sur nous cinq ? En effet, exhiber de manière ostentatoire les ors dont on me pare, contribue à la notoriété de notre main et à son élégance. Imaginez-vous un doigt sans bague et l'inutilité d'une bague sans doigt !?  Personne alors ne ferait attention à nous ! D'ailleurs, c'est une fonction d'esthétisme à laquelle participe également l'annulaire.
     Oui, confirma l'annulaire mais, outre cet aspect, il faut y associer celui de la fidélité significatif aussi d'un statut social. Et puis, l'annulaire qui n'appréciait pas trop cette assimilation au majeur, crut bon de préciser qu'en toutes circonstances, lui, restait correct et qu'il ne se permettait jamais des incongruités comme celles qu'effectuait parfois le majeur dans des cas extrêmes d'énervement et notamment en automobile...
     L'auriculaire, quant à lui, la voix à peine audible, chuchota " moi je suis trop petit pour affirmer quoi que ce soit, mais ma taille trouve quand même son utilité dans le soulagement que je procure à la démangeaison passagère de l'oreille. Parfois on m'affuble d'une grosse chevalière, trop lourde pour mon anatomie et souvent disgracieuse. Je supporte en silence  car j'aurais mauvaise grâce à me plaindre quand j'écoute tout ce que vous faites. Mais n'allez cependant pas croire que ne rien faire est totalement inutile. Ainsi, vous souvenez-vous de cette comptine qu'on racontait aux enfants en leur prenant le pouce et en leur disant: "la cocotte a fait son nid là  en chatouillant le creux de la main, ensuite on prenait l'index qui tuait la cocotte, puis le majeur qui la plumait, enfin l'annulaire qui la mangeait et pour finir, le petit rikiki qui n'avait rien du tout !?
     Or dans cette comptine, ma fonction d'auriculaire se dilue dans l'inutile et pourtant, elle n'a de sens que si j'existe pour recueillir le rire des enfants? N'est-ce d'ailleurs pas là l'essentiel?  Voilà donc l'exemple significatif de l'utilité de l'inutile au sens où semblent l'entendre mes frères de main.
     Alors cessons donc ces chamailleries, au diable nos compétences, au diable notre oisiveté ou nos apitoiements puisque nous finirons tous entrelacés sur le ventre de notre maître.



1 commentaire:

gaston a dit…

"mai" reconnaissez que je suis en grande partie responsable des regards qu'on porte sur nous cinq ?
N'y aurait-il pas une petite coquille, alors que nous allons manger la cocotte en fin de texte ?
A pluche.