jeudi 30 avril 2020

Confinement

      La lampe diffusait un rond de lumière sur la table, laissant dans l'ombre tout le reste de la pièce, comme si cette concentration de clarté constituait un isolement d'où devraient surgir les propos de raison et de bon sens que l'humanité avait oubliés depuis longtemps. Dans un silence studieux, on n'entendait que le crissement de la plume sur le papier, mais le sujet était si vaste qu'il nécessitait méthode et rigueur que l'auteur n'avait pas. Pourtant, ce confinement offrait tout le temps de la réflexion. Alors il tentait d'expliquer ses révoltes, ses déceptions devant la nature humaine, devant son comportement, il tentait de démontrer que si l'argent était un moyen international judicieux pour échanger, qu'il était aussi devenu le facteur fondamental de l'évolution perverse de son utilisation et finalement la cause de tous nos maux. Il déplorait aussi la concentration des peuples attirés de gré ou de force par la nécessité du travail délocalisé aboutissant au surpeuplement de ces affreuses banlieues de cubes et de béton dont la mortelle symétrie engendrait l'ennui et le désespoir de ceux qui y vivent et souffrent d'une promiscuité, vecteur de la propagation des virus et des maladies. Il aurait voulu dénoncer la tristesse de ces gens déracinés, expliquer que cette pauvreté croissante était comparable à la lie d'un fleuve que la vigueur effrénée du courant ne parvenait pas à dissoudre, démontrer la relation qui existe entre ces propos et ce malheur viral qui nous atteint. Il aurait voulu savoir dénoncer le saccage de nos campagnes, de la faune disparue, de la flore malade, bref, de tout ce qui détruit nos vies au lieu de les améliorer.
     Il avait tant de choses à déplorer, tant de choses à dire, que parfois la plume cessait son crissement pour essayer de traduire les pensées qu'il fallait ordonner. D'autres fois, il relisait ses notes dont l'incohérence de celles-ci traduisait finalement une vacuité désespérante. C'était un peu le mythe de sisyphe. Recommencer sans arrêt, inlassablement, tenter de convaincre, sans parti-pris mais avec un minimum de bon sens. Sans résultat, il reprenait ses arguments, mais avait-il une chance pour que le monde comprenne que le regard sur un soleil levant, que la couleur céleste, que la pureté du ruisseau murmurant, que l'éclat argenté de la mer, que le relief des montagnes, noires, rouges ou bleues, contribuaient bien davantage à notre bonheur, au seul et authentique bonheur qui mérite, selon lui, d'être vécu.
     Le coronavirus aura peut-être cette vertu de mettre en évidence nos erreurs, nos suffisances, notre fragilité, nos assurances infondées, nos ambitions inutiles  assouvies, au mépris de l' Autre, de l'Autre sans lequel nous ne sommes rien.
     Alors, coronavirus, aide-moi à faire ce que je ne parviens pas à écrire tant la confusion de mon esprit est grande.

                                                                        Pierre Delval

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